63ème devoir du Goût
Les lundis du Goût
Hopper avait-il quelque prescience de ce qui nous arrive ?
Que pouvait-il imaginer en peignant ce carrefour vide ?
En avez-vous une idée ?
D’ici lundi vous l’aurez écrit j’espère.
À lundi…
Esso… so.s ?
Encore un village qui se meurt. Tous les jours, Clémence en fait la réflexion devant les rues désertes du matin au soir. Les cuves de la station d’essence n’ont pas été réapprovisionnées depuis de longs mois. Voilà deux ans que Clémence a baissé le rideau de sa petite épicerie. Un chien jappe dans le lointain, il semble désespéré lui aussi. Après quoi ou qui aboie-t-il ? Dans les prairies alentour les moutons bêlent, la sécheresse et la chaleur du moment les feraient-elles souffrir ? Côté humain, ce n’est guère plus réjouissant. Les quelques personnes âgées qui restent au village sortent peu, on les aperçoit derrière les rideaux aux fenêtres closes. Village dortoir, les jeunes partent le matin de bonne heure travailler dans les villes voisines, et ne rentrent que le soir après être passés à l’hypermarché de ces mêmes villes. Clémence en est là de ses sombres pensées lorsqu’elle entend puis aperçoit une voiture qui arrive en trombe au coin de la rue. Une belle voiture, un riche monsieur sans doute. Craintive, Clémence rentre chez elle et, comme les vieilles dames du village, se poste derrière ses carreaux. L’homme descend de voiture, prend des photos, observe les lieux un long moment et repart. Revient régulièrement. Seul ou accompagné de nombreux messieurs cravatés. Ainsi, pendant des semaines, les villageois assistent à un incessant défilé de différents corps de métier… géomètres tout d’abord. L’immense terrain se retrouve borné en moins de deux. Puis les pelleteuses, les bétonnières. Les maçons s’activent. Puis des menuisiers, des électriciens, des peintres et décorateurs. Une vraie ruche en plein mois de juin !
Non, le village ne meurt plus, il s’est même réveillé dans la joie et en musique. Un bel établissement a ouvert ses portes à un public émerveillé… je ne sais pas si vous connaissez ce cabaret alsacien, en tout cas j’y suis allée et je peux vous dire que le spectacle du Moulin Rouge n’a rien à envier à celui de ce petit village jusqu’alors inconnu.
Non, le village ne meurt plus, il suffisait d’un homme courageux pour se lancer dans une telle aventure.