L'automne dans ma rue
Spencer Gore - Cambrian Street - Richmond - 1913
Tableau proposé par Lakevio
Dites-moi, puis-je me permettre de vous confier ma tristesse en ce soir de premier froid ? Il a neigé, grêlé, plu, en alternance toute la journée. Le nez collé au carreau, je regarde, presque sans la voir, la rue déserte que de très rares passants animent. Je regarde presque sans la voir, ma rue, familière depuis plus de quatre décennies. Elle est belle ma rue, tranquille, bordée de grands arbres centenaires. C’est l’automne, les feuilles commencent à tourbillonner dans un magnifique ballet rouge et or. Demain les branches seront dénudées, l’hiver viendra. L’endormissement de la végétation. La mort. Mais une mort provisoire. D’ici quelques mois, la nature de nouveau s’éveillera, revivra, explosera en mille couleurs et senteurs. Je regarde ma rue, presque sans la voir. Mon âme vagabonde et se pose près de toi… Mort provisoire… S’il pouvait en être ainsi de toi, mon amour… Nous ne vieillirons pas ensemble, cela me ravage à chaque fois que j’y pense. Quand tu es mort, notre premier petit-fils n’avait que six mois. Tu étais fou de joie, émerveillé devant ce petit homme. Il a maintenant dix-sept ans. Il est grand, te dépasse d’une tête. Puis un autre garçon et trois filles sont venus agrandir le cercle de famille. Comme tu serais fier ! Je te connais tellement que je t’imagine devant cette joyeuse descendance, sensible comme tu l’étais, la larme à l’œil pour l’anniversaire de l’un, la concentration pour apprendre quelque travail manuel à l’autre… la famille c’est si important ! La rue est déserte, je ferme les volets, il fait froid. Je suis seule… mais comme je le dis souvent, pas seule au monde. Ce ne serait pas vivable.