Confidences au parc
Pour Lakevio, d'après un tableau de Vittorio Corcos
«Claudine, regarde ces deux élégantes en train de papoter, tu les connais ?»
«Oh oui que je les connais, ce sont les deux orgueilleuses qui passent leurs vacances au château au sommet de la colline».
«Ah bon, raconte donc !»
«Je n’en sais que ce que les gens du village racontent, mais je veux bien croire les commentaires entendus çà et là. Tu n’as qu’à les observer, elles sont hautaines, indifférentes, pire encore elles nous toisent de pied en cap, je t’assure, autant de dédain me rabaisse et me fait douter, moi la forte au quotidien, l’infatigable aux rudes travaux de la ferme.
Celle qui nous fait face est la nièce de madame la comtesse Dufermoir De Monsac, c’est la première fois qu’elle vient en vacances ici. Jusqu’alors, tous les étés, elle voguait dans les eaux turquoise des Caraïbes. Son mari est mort début juillet dans un accident d’offshore.
Celle qui nous tourne le dos est sa dame de compagnie dont le mari est mort au front l’hiver dernier. Sans doute écoute-t-elle patiemment sa patronne lui raconter les malheurs qui ont stoppé net sa vie dorée. Maintenant, c’est grand deuil pour longtemps, très longtemps.»
«Ah ma pauvre Claudine, je les regarde en t’écoutant et je vois bien qu’elles sont hautaines, mais comme elles sont belles ! C’est sûr que nous à côté, avec nos robes taillées dans la toile épaisse et lourde, nos sabots inélégants, nos cheveux ternes, on est loin de faire le poids !»
«Mais allez, ne regarde pas ces détails, regarde plutôt la petite fille qui se tient à leurs pieds. Pauvrette, comment peut-elle jouer ainsi fagotée, engoncée dans cette vilaine cape et affublée de cet horrible bonnet tuyauté ? Et des gants blancs pour patouiller le sable, on aura tout vu ! Ne crois-tu pas que nos enfants sont bien plus épanouis avec leurs culottes trouées, à sauter dans les flaques, à se rouler dans les prés, à faire des pâtés de sable, une bassine d’eau à leur portée, à courir, sauter, rire, rentrer crottés mais tout roses par les joues. Allons, viens, ils nous attendent pour le goûter.»