A ma Lulu
Tu te souviens, ma p'tite Lulu, tu m'avais appris à jouer à la crapette. Crapette... le mot me faisait rire, je ne connaissais pas ce jeu de cartes. On en a fait des parties les jours de pluie, tu te souviens ? et de scrabble... puis de triomino... puis plus rien, tu n'as plus su jouer. Non tu ne te souviens pas, tu ne te souviens plus de rien. Ah mais si, que dis-je ! tu te rappelles parfaitement les paroles des chansons qui ont bercé ta jeunesse et ta vie de femme. Tiens, à propos de femme, quand je regarde des photos de toi plus jeune, je me dis que tu étais une très jolie femme. Et puis tu avais exercé un beau métier, celui d'aide-soignante dans le grand hôpital grenoblois. Tu en parlais avec fierté et bonheur. Hier, je suis allée te rendre visite dans la structure flambant neuve qui t'accueille et prend soin de toi depuis quelques mois. Cette unité qui porte le si joli nom d'"Amaryllis" est dotée d'un personnel très compétent que j'admire énormément à chacun de mes passages. Absente de chez moi trois semaines et te retrouver, fut pour moi très douloureux. Tu as encore changé, tu ne ris et chantes presque plus, tu deviens agressive, tu es nerveuse et agitée. Ta maladie, je la connais pour l'avoir côtoyée dans mon travail, elle s'est installée en toi doucement, insidieusement. Maintenant elle évolue, inexorablement. Lorsque je t'ai vendu la petite maison de mes beaux parents voici douze ans, tu étais en pleine forme, tu venais d'accèder à la retraite. On a tout de suite été copines puis complices, on sortait et riait ensemble, se confiait et s'épaulait. Tu avais fait de ta maison un joli petit cocon douillet et coquet. Je suis chagrinée. Tu n'as que soixante treize ans, tant de bonnes années méritées auraient pu encore et encore te faire aimer et savourer la vie, car tu aimais la vie, très fort, très positivement. Cette nuit, je n'ai pas dormi et n'ai pu me concentrer sur la lecture de mon livre. Alors j'ai joué à la crapette sur ma tablette, seule et avec toi dans mes pensées.
Texte publié avec l'autorisation de son fils.